• La Légende de la Voie Lactée

     

     

    NGUU-LANG  ET  CHUC-NU

    (ou « La Légende de la Voie Lactée »)

       Kitty

     

     

     

    En lisant un conte sur le Japon médiéval* (* ‘Tales of the Otori’ par Lian Hearn), je suis tombée un jour sur une anecdote parlant du festival des étoiles, le seul jour de l’année où la princesse dans le royaume des cieux était autorisée à revoir l’homme de son cœur sur le pont magique soutenu par des pies et des corneilles. Je me suis dit que les contes et légendes du monde entier se rejoignaient.

     

    Si vous regardez le ciel, par une nuit limpide, vous pouvez voir une large trainée blanchâtre à travers la voûte céleste, les occidentaux l’appelent la Voie Lactée. La légende de chez nous dit que c’est une rivière faite de poussières d’argent (Ngân-Hà) qui traverse le royame de l’Empereur de Jade Ngọc Hoàng Thượng Đế qui règne sur la Terre et les cieux, sur les hommes et les animaux et sur tous ceux qui vivent dans l’univers. L’Empereur de Jade était le suprême empereur de l’univers, aucun autre empereur ne lui était supérieur, et aucun autre empereur ne lui était égal.

     

    Si vous voulez écouter cette légende, la voici :

     

    Il était une fois, une belle princesse qui vivait dans le royaume des cieux. Elle s’appelait Chuc-Nu. Elle était la plus belle des filles de l’Empereur de Jade, et elle était la plus travailleuse et la plus adroite de ses mains. Dès l’aube, on la voyait déjà sur la terrasse du palais de son père ou dans le jardin céleste à l’ombre d’un flamboyant devant son métier à tisser. Et cliquetis, cliquetant la navette dansait sur le métier, tissant les fils chatoyants de l’arc-en-ciel pour produire la plus belle soie qu’on puisse imaginer et qui servait à habiller les fées, et les génies de la cour de son père. Tous les jours, du matin au soir, son métier mêlait son chant animé aux murmures des arbres et aux mélodies des chants d’oiseaux du jardin céleste. Des papillons, des libellules voletaient autour d’elle pour lui faire plaisir. Des lapins, des écureuils sortaient de leurs terriers pour venir la regarder, admirer sa beauté et son charme, et danser autour d’elle pour lui tenir compagnie.

     

    Et tous les jours, le berger Nguu-Lang, amenait les troupeaux de l’Empereur de Jade paître dans les prairies célestes. Il était sidéré devant la beauté de Chuc-Nu dans ce décor à la fois romanesque et divin. La princesse était tellement belle, belle au delà de toute expression. Le mouvement rythmique et grâcieux de ses mains qui faisaient danser la navette sur le métier ; le port majestueux de sa tête sur ses épaules frêles ; sa silhouette et ses courbures contre le ciel bleu ; tout le rendait fou. Le berger Nguu-Lang était tombé amoureux d’elle dès le premier regard. Il passait des heures et des heures à la contempler, perdu dans ses rêves et oubliant le temps qui s’écoulait, c’était seulement quand un veau ou un mouton sautait sur un nuage voyageur et ne pouvait plus redescendre sur la prairie céleste qu’il se ressaisissait pour intervenir. Souvent il faisait chanter sa flûte pour laisser échapper ses sentiments et pensées intimes. Ses chants éthérés et mélancoliques traduisaient fidèlement l’état de son âme et ses émotions. Car il était mélancolique, il se disait « je ne suis qu’un berger, elle est une princesse du royaume … ! »

     

    A la longue, Chuc-Nu finit par le remarquer car la musique du berger si douce semblait lui parler intimement et la touchait jusqu’au plus profond de son âme.  Un jour, elle lui sourit lorsque leurs regards se croisèrent, et ils échangèrent quelques mots. Il ne fallut pas longtemps pour qu’elle aussi tombe amoureuse de lui.  Car il était beau garçon, doté d’un esprit romanesque et subtil. Ils échangèrent leurs promesses d’amour.

     

    Au grand bonheur de Nguu-Lang, l’Empereur de Jade n’était pas soucieux des distinctions sociales, du moment que c’était le désir de sa fille et qu’elle était heureuse. Il leur accorda sa benédiction, sous la seule condition qu’ils continuent à bien travailler comme avant.  Il y eut une grande fête de plusieurs jours dans le royaume des cieux, avec beaucoup de joie, de musique et de danses. Nguu-Lang excella avec sa flûte, ses chansons firent vibrer le cœur de tous les êtres vivants du royaume.

     

    Après la lune de miel, les jeunes mariés avaient bien l’intention de se remettre sérieusement au travail. Mais le royaume céleste offrait de si magnifiques endroits ! Des prés fleuris à perte de vue pour se promener ; des ruisseaux aux eaux cristalines près desquels il était tellement agréable de s’asseoir, la main dans la main ; des forêts accueillantes à explorer ; une multitude de coins et de recoins dans des montagnes dotées de flocons de nuages pour se cacher et se murmurer des tendresses. Et c’était ainsi que nos jeunes mariés négligeaient et troupeaux et métier à tisser. Un an s’était déjà écoulé et pourtant, tous les matins, forêts, montagnes et ruisseaux les attiraient vers eux. Ils étaient, après tout, jeunes et amoureux, et les jardins célestes étaient leurs jardins secrets. Quel amoureux pourrait trouver à les blamer ?

     

    Cependant, l’Empereur de Jade ne connaissait rien des tendresses de l’Amour. Tout ce qu’il savait, c’était que ses troupeaux couraient partout dans le royaume, saccageant les parterres fleuris, mangeant les fleurs, et piétinant les jeunes herbes. Et que des araignées tissaient leurs toiles sur le métier et que les membres de sa cour attendaient en vain leurs habits.

     

    L’Empereur devint aussi sévère qu’il avait été gentil. Quand il comprit ce qui se passait, sa colère fut terrible à voir. D’un geste de sa main il coupa les prés de son royaume en deux par une rivière infranchissable de poussières d’argent. Puis il décréta que les jeunes mariés devraient vivre et travailler désormais de part et d’autre de la rivière. Nguu-Lang et Chuc-Nu se regardèrent désespérément de loin et pleurèrent tout doucement.

     

    Un an s’était déjà écoulé, mais leur amour l’un pour l’autre ne diminuait pas. Ils se languissaient l’un de l’autre mais ne pouvaient pas se revoir. Tous les jours, depuis qu’ils étaient séparés, Nguu-Lang faisait paître ses troupeaux au bord de la rivière d’argent, pour être ainsi un peu plus proche de sa bien aimée. Souvent il faisait chanter sa flute, espérant que sa musique pourrait être emportée loin par le vent et atteindre sa bien aimée. De son côté, tous les jours, Chuc-Nu installait son métier sur le bord de la rivière, ses mains faisaient danser automatiquement la navette mais son âme n’y était plus. Elle scrutait inlassablement l’autre rive. Mais la rivière était tellement large, leurs silhouettes apparaissaient à l’un et à l’autre pas plus grosses qu’une petite sauterelle.

     

    Cependant, de temps en temps une brise lui apportait le chant d’une flûte, Chuc-Nu reconnaissait que c’était la flûte de son bien aimé. La mélodie était très belle, mais très triste à faire pleurer même un cœur de lion. C’était pour Chuc-Nu un baume apaisant qui l’aidait à continuer à vivre au jour le jour. Les oiseaux et autres animaux du royaume céleste se désolaient pour eux, et même les arbres aussi, mais ils ne pouvaient rien faire.

     

    Un jour, l’Empereur de Jade était sur la terrasse de son palais. Il semblait perdu dans la comtemplation de sa rivière d’argent sous les reflets du soleil naissant. Il vit ainsi les jeunes amoureux de part et d’autre de la rivière. Soudain une triste mélodie de flûte lointaine lui parvint, il se ressaisit, écouta attentivement pendant un moment puis soupira :

     

    « Ces deux jeunes me font pitié. Mais hélas ! Je ne peux pas revenir sur mes décisions ! » 

     

    « Si ! Si ! Par pitié, Majesté !» s’empressa de crier une pie bavarde qui se trouvait par hasard sur l’arbre près de la terrasse, et qui avait entendu les exclamations de l’Empereur. « Nous ferons un pont enjambant la rivière. Laissez le jeune couple se revoir ! Nous, les pies, les corneilles et tous les passereaux, nous le ferons. Par pitié, Majesté ! »

     

    C’était le 7ème jour du 7ème mois de l’année lunaire, un an, jour pour jour, après leur séparation. 

     

    ***

     

    C’est ainsi, qu’une fois par an, au 7ème jour du 7ème mois de l’année lunaire (qui tombe vers la fin de l’été, et au début de l’automne, par rapport au calendrier solaire) Nguu Lang et Chuc-Nu sont autorisés à se revoir au milieu d’un pont magique enjambant la rivière d’argent soutenu par des pies et des corneilles. Il tombe toujours ce jours là, ici-bas, une pluie fine, la pluie Nguu. La légende dit que ce sont des larmes de joie et de tristesse des Nguu qui se retrouvent et qui doivent se séparer de nouveau.

     

    Et si par hasard, vous vous trouviez ce jour là à la campagne ici-bas, je vous assure que vous ne verrez nulle part l’ombre d’une pie ou d’un passereau. Ils se rendent tous à la rivière d’argent là-haut pour soutenir le pont magique qui permet aux malheureux amoureux Nguu de se retrouver.

     

     ***


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